« La pandémie de Covid-19 a révélé l'importance du sujet de la santé mentale ». Alors que la résilience des Français est mise à rude épreuve avec la cinquième vague provoquée par le variant Omicron, une mesure jusque-là inédite va être mise en place dans le pays : le remboursement des consultations de psychologues de ville. Emmanuel Macron l’avait annoncé lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui se sont tenues le 28 septembre dernier. A cette occasion, et quelques mois après la création des chèques psy pour les étudiants, le chef de l’Etat avait concédé : « pendant longtemps les moyens mis n’ont pas été à la hauteur ». La mesure a ensuite été intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2022, définitivement adopté le 29 novembre. Aussi, depuis le 1er janvier 2022, les psychologues peuvent candidater pour participer à « MonPsySanté ». Une fois les volontaires sélectionnés par l’Assurance maladie et l’annuaire listant les psychologues conventionnés publié en ligne, le dispositif sera lancé. Si le président a notamment déclaré que « toute la profession n’est pas totalement ravie », le gouvernement prévoit de mettre en place ce nouveau système au cours du printemps. De quoi parle-t-on exactement et les professionnels concernés sont-ils vraiment sur la réserve ?
Le remboursement des consultations psy s’adresse à toute la population à partir de trois ans, souffrant de troubles psychiques d’intensité légère à modérée. Pour être remboursées, les séances, dont la durée dépendra de chaque patient, devront être prescrites par un médecin et réalisées par un psychologue conventionné avec l’Assurance maladie. Comme vu précédemment, ce dernier se sera donc porté volontaire au préalable pour faire partie du dispositif. Pour encourager les professionnels à postuler, l’Assurance maladie insiste sur le fait que le psychologue pourra continuer à pratiquer en parallèle son activité habituelle, libérale ou autre, aux tarifs de son choix.
La première séance remboursée consiste en un bilan de 55 mins environ et coûtera quarante euros. En fonction de quoi, le psychologue prescrira, ou pas, un certain nombre de séances de suivi, facturées quant à elles trente euros. Le forfait peut toutefois monter jusqu’à huit séances seulement (bilan inclus). Celui-ci pourra ensuite être renouvelé chaque année, si le médecin traitant estime cela nécessaire. Si au fil de la psychothérapie, le patient développe ou montre des troubles plus sévères, il devra être orienté vers des soins plus spécialisés. Une fois les volontaires sélectionnés, la liste de ces psychologues conventionnés sera publiée dans un annuaire facilement accessible aux usagers, promet l’Assurance maladie.
« Unifier les différents dispositifs en cours »
Concernant le financement des séances, il sera réparti entre l’Assurance maladie obligatoire et complémentaire. En 2022, la première consacrera 50 millions d’euros à cette nouvelle mesure et en 2023, 100 millions. A partir de 2024, le gouvernement promet d’y dédier 170 millions d’euros par an. Un ticket modérateur de 40% sera appliqué sur le tarif des séances, pris en charge par les complémentaires santé qui couvrent 95% des assurés. Mais ce ticket modérateur sera également assuré pour les publics précaires (personnes bénéficiant de la complémentaire santé solidaire, AME).
Si le fait de s’adresser à l’ensemble de la population est une nouveauté, le dispositif est déjà à l’essai depuis 2018 dans quatre départements : les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, le Morbihan et les Landes. Cette expérimentation, mise en place par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM), ne concernait toutefois que les 18-60 ans. C’est pourquoi, devant l’insistance de la Cour des comptes à la généraliser « dès que possible », le gouvernement a fini par céder.
MonPsySanté a « pour vocation à unifier les différents dispositifs en cours afin d’améliorer la lisibilité de l’offre pour les patients et à le rendre plus accessible. », explique aujourd’hui l’Assurance maladie sur son site, citant d’autres expérimentations, comme par exemple Ecout’émoi, destinée aux jeunes en souffrance psychologique. Le nouveau dispositif mis en œuvre en 2022 devrait faire l’objet d’une évaluation d’ici 2025 avec donc pour objectif de poursuivre l’intégration des psychologues dans le parcours en santé mentale.
« Une psychologie à bas coût » ?
Mais pour l’heure, les principaux intéressés sont loin d’être convaincus. La profession s’indigne notamment du tarif donné à la valeur d’une consultation. En effet, d’après la Mutuelle Nationale et Territoriale (MNT), qui prend en charge quatre consultations de psychologues par an depuis juin 2021, « la moyenne d’une consultation est plutôt de l’ordre de 60 euros ».
Selon Patrick-Ange Raoult, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), « la majorité des syndicats envisage un boycott ». Pour lui, « le dispositif met les psychologues au Smic, ce ne qui ne va pas en encourager beaucoup à le suivre ». Et si certains psychologues s’inscriront bien sûr, « les plus qualifiés n’iront pas vers ce dispositif. On va faire une psychologie à bas coût, avec des psychologues peu expérimentés », assure-t-il. « Ce n'est pas cette logique du moindre coût qui résoudra les problèmes de fond du secteur », abonde-t-il, expliquant « ne pas se faire trop d’illusions ».
Pour Benoît Schneider, président honoraire de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), professeur de psychologie de l'éducation à l'université Nancy 2, les tarifs annoncés par le ministère de la Santé ne sont tout bonnement « pas entendables ». « Quand on considère l'ensemble des charges, le temps passé avec les patients, de toute façon le compte n'y est pas (...) Le taux de rémunération ne permet pas de vivre de façon correcte en tant que libéral. », déclare-t-il à LCI. Alors que, dans l’espoir de calmer les protestations, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait évoqué sur France Inter des consultations pouvant durer moins de trente minutes, l’expert rétorquait : « On ne peut pas saucissonner de la souffrance psychique et dire à un patient, à la minute près : « c'est fini, vous repartez » ».
Le dilemme du médecin traitant
L’autre principal point de friction concerne la place des psychologues dans le monde de la santé. Pour l’ANPSYCT (Association Nationale des Psychologues des Collectivités Territoriales), travailler sous prescription médicale « revient à mépriser la profession ». En effet, « les psychologues veulent défendre leur indépendance vis-à-vis de la médecine », expliquait Laurent Laporte, de la CGT, à l’occasion d'un rassemblement devant le ministère de la Santé peu avant les annonces présidentielles. « On voudrait être associés, on ne l’est pas, ils décident de tout sans nous, avec des médecins », abondait Christine Manuel, du SNP. Dès le 10 juin, plusieurs organisations de psychologues avaient d’ailleurs manifesté pour ne pas « laisser les pouvoirs publics décider pour eux ».
Les psychologues ne seraient par ailleurs pas les seuls à être gênés du recours à un médecin généraliste. D’après eux, les patients seraient également frileux à parler de ça à n’importe quel soignant. « Nombre de mes patients ne souhaitent pas se confier à leur médecin généraliste au sujet de leur souffrance psychique, et les médecins ne sont pas formés en psychopathologie. Cela pose un vrai problème de secret médical », explique ainsi Mathieu Collet, psychologue libéral en Occitanie, au Figaro.
Mais les patients qui bénéficieront de ce système sont ceux « qui ne peuvent accéder à des consultations auprès de psychologues si les tarifs ne sont pas encadrés », rappelle le gouvernement. Et, concernant les psychologues, le dispositif servira surtout à ceux « qui n’arrivent pas à vivre de leur métier ». En parallèle de MonPsySanté, 800 postes devraient être créés à partir de cette nouvelle année dans les centres médico-psychologiques (CMP) afin de réduire au les délais d'attente, actuellement « supérieurs à 18 mois dans les territoires qui sont le plus en tension », a annoncé Emmanuel Macron lors des Assises de la santé mentale. Un autre effort budgétaire devrait notamment concerner la recherche dans ce secteur : 80 millions d’euros lui seront dédiés dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4), a promis le président de la République.